Un maçon parmi les libraires anciens

Parmi les libraires anciens que j’ai rencontrés à « La Charité sur Livres », il en est un qui m’a surpris et profondément touché…

Sous l’impulsion de Christian et Marie Valleriaux, qui y ont ouvert la première librairie ancienne en 1995 (12 bis, rue du Pont, tel : 03 86 69 66 41), la Charité sur Loire (Nièvre) est devenue en 2000 « Ville du Livre », comme il en existe 25 en Europe. Lorsque les Valleriaux décident de quitter Paris, pour les rives de la Loire, le centre ville était quelque peu sinistré. « Il y avait 14 commerces vides entre le pont et l’église », se souvient Christian Valleriaux. Aujourd’hui, ils sont une petite quinzaine à tenir boutique dans les ruelles de la vieille ville. Chacun a sa personnalité et sa spécialité, des impressions nivernaises et berrichonnes aux livres d’art, en passant par les ouvrages de spiritualité et les vieux papiers.
(photo office de tourisme)
Chez les Valleriaux, l’incunable converse avec le livre de voyage et un fonds important d’ouvrages régionaux. Plus loin, Malika Le Grand Bailly tient une charmante librairie « L’arbre de Jessé » (8, place des pêcheurs, tel : 03 86 69 68 21), installée dans une ancienne boucherie dont elle a conservé quelques éléments de décor. Elle compte parmi les pionnières et les bibliophiles amateurs d’histoire des religions, de philosophie ou de psychologie trouveront chez elle de quoi étancher leur curiosité.

Toute autre atmosphère, chez Christian Guillaume (15, rue de la Verrerie, tel. : 03 86 70 33 53), autre personnage s’il en est. L’homme se dit davantage marchand de vieux papiers que libraire. Ce bourlingueur, ingénieur des mines, rentré en France en 1986, a trouvé dans ces anciens documents publicitaires une passion pour l’imagerie ancienne et la raison d’une seconde vie : « Je fais un métier pour lequel je n’ai pas l’impression de travailler », confie-t-il. Heureux homme !

Alain Delage(photo BS)
Mais mon véritable coup de cœur, je l’ai ressenti plus fortement encore en passant sous l’enseigne « A l’Image Saint Jean » (18, rue du Petit Rivage, tél. : 03 86 70 33 53). L’homme qui tient cette librairie est aussi un personnage à sa manière. Alain Delage est un récent venu dans l’univers de la librairie ancienne. Ce n’est d’ailleurs toujours pas son premier métier puisque notre homme exerce toujours en semaine l’art de la maçonnerie et de la couverture des toitures. C’est d’ailleurs lui-même qui a restauré pour le compte d’un ami l’immeuble qui abrite aujourd’hui ses vieux livres et ses éditions originales.
Maçon la semaine, libraire le soir et le week-end, Alain Delage est surprenant de prime abord. Il s’excuserait presque d’être là et pourtant, à l’écouter, on comprend vite qu’il possède toute légitimité pour vendre ces livres précieux. « Je n’ai pas eu beaucoup de livres dans mon enfance et cela m’a beaucoup manqué. C’est pourquoi dès que j’ai pu en acquérir, j’en ai choisi de beaux exemplaires. Puis l’idée n’est venue, en voyant s’ouvrir un peu partout des boutiques en ville, d’en ouvrir une moi aussi. »
Cet autodidacte aime effectivement les beaux livres et les illustrés modernes. Mais il souffre d’un handicap qui nuit souvent au commerce : « Au début, je n’arrivai pas à me résigner à les vendre, je les trouvais trop beaux. Mais ma femme m’a fait comprendre… » La parole est sincère, l’homme est touchant. Dans la maçonnerie comme dans la librairie, il reste avant tout un artisan qui aime transmettre ce qui l’anime : son savoir-faire et son expertise, son savoir-être aussi, ses découvertes et les dernières pages qu’il a lues avec émotion… La rencontre s’est conclue sur un cadeau que m’a fait le libraire, un roman au titre malicieux : « Des gens très provisoires »

Alain Delage, merci pour cet instant délicieux et ce cadeau dont j’accepte pleinement les sous-entendus.