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PATRIMOINE HISTORIQUE ET CULTUREL

Qui s’attendrait à trouver une scène de l’annonciation dans son salon ? C’est pourtant l’étonnante découverte que fit la famille Marillier en 1981

Lauréats du prix du Monde de la Bible remis dans le cadre du Concours Un patrimoine pour demain, organisé par Pèlerin, je les ai rencontrés il y a quelques semaines. Voici leur étonnante histoire :

En 1981, las de vivre dans un appartement moderne devenu vite très étroit avec l’arrivée des enfants, Christian et Marcelle Marillier, amoureux des vieilles pierres, font l’acquisition d’une maison dans le centre historique de Laon (Aisne) en 1981. Une maison délabrée, disons plutôt un taudis, laissé à l’abandon depuis plusieurs années sauf des hirondelles qui y nichaient et la végétation qui s’y engouffrait. Des travaux s’imposent pour rendre les lieux habitables et un peu plus confortables.

A force de gratter les murs humides, le dessin d’une arcade fait son apparition. Résolus de la dégager afin d’y loger une bibliothèque, ils découvrent derrières les pierres de remblai une fresque étonnante. D’abord se laisse dévoilée une main, celle de Dieu, qui pointant vers le bas, semble indiquer qu’un événement important s’accomplit sous la voute. Peu à peu, avec fébrilité certaine, les Marvillier dégagent les pierres et laissent l’ange Gabriel faire son annonce à Marie. Que fait une Annonciation à cet endroit ? Les Marillier s’interrogent sur cette maison qu’ils ont acquise sans rien connaître de son histoire. En fouillant dans les archives, ils retrouvent la trace des propriétaires successifs de cette habitation jusqu’en 1540. Sans pour autant trouver une réponse satisfaisante à leur question.

C’est finalement en mettant la main sur un plan la Ville de Laon au XIVème siècle, qu’ils parviennent à identifier la présence d’une chapelle à cet endroit. Et par n’importe la quelle. Celle de la résidence du châtelain royal. Résidence qui avait disparu de la mémoire locale sans doute depuis le  terrible tremblement de terre du 23 aout 1504 qui ébranla fortement la ville. La maison porte encore les stigmates du cataclysme. Le mur occidental fut grossièrement consolidé et les arcades murées avec des pierres. Sans doute faut-il dater de cette époque l’abandon de la chapelle et sa transformation en logis. « Au cours de nos recherches, raconte Christian Marillier, nous avons découvert que la ville comptait alors quelques 70 chapelles dont la plupart ont aujourd’hui disparu. »

Au cours de la consolidation de l’édifice et de son aménagement, dans la première moitié du XVIème siècle, on a pu observer avec quel soin la scène de l’annonciation fut protégée avant d’être murée. En effet, elle fut recouverte d’un parchemin destiné à la protéger du contact des pierres. Les maçons du XVIème pensaient-ils qu’elle reverrait la lumière un jour ?

Intéressons-nous à l’œuvre. Délicate et d’une grande pureté, elle saisit le regard du visiteur. On note qu’elle est restée inachevée. Le vase et les fleurs qu’il contient, situés entre la Vierge et l’ange Gabriel,  n’ont jamais été peints. Les drapés sont soignés et les visages expressifs. Le dessin pourrait surprendre car les proportions des personnages apparaissent difformes. L’ange a un bras plus court que l’autre et l’une des jambes plus longes. La Vierge qui parait debout est en fait à genou sur un coussin posé presque verticalement… Une maladresse d’un artiste inexpérimenté ? Non, une règle de l’art, bien au contraire. Cette scène a été construite selon les lois de l’anamorphose. Ce procédé qui fera flores à la Renaissance a été notamment théorisé par Piero della Francesca (1412-1492) dans son traité sur la perspective. Ces images déformées, dessinées à l’aide de miroirs courbes ou de calculs mathématiques, apparaissent reconstituées depuis un point de vue précis et voulu par l’artiste. Ainsi cette scène de l’Annonciation que le visiteur voit aujourd’hui difformes, apparaissait-elle totalement proportionnée pour le visiteur du XVè siècle qui la contemplait depuis le sol originel, soit cinq mètre plus bas, avec très peu de recul vu l’exigüité de la chapelle.

Produite dans la première moitié du XVème siècle, selon les experts pour la chapelle privée d’une demeure royale, on peut légitimement s’interroger sur la qualité de son auteur. Les noms ne se bousculent pas et l’on pense assez rapidement, sans pouvoir en être certain, à Colart de Laon, dont la présence dans la Cité est attestée de 1420 à 1428, date de sa mort. De cet artiste, notamment connu pour avoir participé à la décoration murale de la chapelle des Célestins à Paris, on a conservé dans l’Aisne de rares mais précieux témoignages : Une fresque peinte en 1397 dans l’église de la chartreuse de Bourg-Fontaine ainsi qu’un médaillon dans le réfectoire de l’abbaye de Saint-Jean-des-Vignes à Soisson. Cette dernière ayant été malheureusement mutilée par l’armée prussienne en 1871.

La mise à jour de la fresque en 1981 a naturellement entrainé une dégradation progressive de la peinture. « Cette découverte, se souviennent les Marillier, nous a d’abord émerveillés, puis elle nous a rapidement inquiétés. Comment la conserverions-nous ? Nous n’étions pas préparés à cela et l’argent dont nous disposions était totalement absorbé par les travaux de réhabilitation de la maison. » Et de soins la peinture a grandement besoin. « En effet, poursuit son propriétaire, le support est très fragile, car il ne s’agit pas à proprement parler d’une technique a fresco mais d’une simple application de peinture sur un lait de chaux recouvrant un décor plus ancien. » L’aide est venue en partie de son classement sur la liste des monuments historiques en 1985. Pas moins de six interventions ont été nécessaires pour empêcher sa lente dégradation au cours des vingt dernières années.

La dernière intervention, opérée en juin de cette année, nous permet de la contempler aujourd’hui dans une émouvante beauté. Le sauvetage a notamment consisté à injecter à la seringue, dotée de fines aiguilles, un fixatif dans les trois strates de badigeon du décor et des deux décors sous-jacents. C’est au sauvetage de ce sujet biblique, admirablement exécuté, que Le Monde de la Bible a voulu s’associer en accordant à ses propriétaires son prix annuel, remis dans le cadre du Concours « Un patrimoine pour demain » organisé depuis 1990 par l’hebdomadaire Pèlerin (lire encadré). C’est aussi la générosité des anges gardiens actuels de cette Annonciation que notre revue a souhaité également récompenser. En effet, ce trésor inestimable, Marcelle et Christian Marillier ont à cœur de le partager. Ils accueillent volontiers, tout au long de l’année, les groupes de visiteurs qui font appel (1) à leur disponibilité pour contempler cette Annonciation « inattendue ». Ils sont ainsi plusieurs centaines, chaque année, découvrir le « trésor » du 34, rue Châtelaine à Laon.

Benoit de Sagazan

(1)   Sur rendez-vous uniquement au tel : 03 23 79 53 43

Un patrimoine pour demain

En créant, en 1990, l’opération « Un patrimoine pour demain », avec le concours de l’association Notre-dame-de-la-Source, Pèlerin constatait l’état d’abandon de petits monuments et le délabrement d’œuvres précieuses de notre patrimoine religieux et rural.
Afin d’y remédier, l’hebdomadaire Pèlerin s’est engagé dans une double mission : sensibiliser l’opinion publique française sur son patrimoine de proximité ; encourager les associations de sauvegarde, les communes et les propriétaires concernés à redonner vie à ces trésors afin que les générations actuelles soient fières de transmettre aux plus jeunes ces éléments importants de notre histoire et de notre culture. Dix neuf plus tard, plus de 250 œuvres et monuments de notre patrimoine ont pu être ainsi sauvés de l’anéantissement.

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3 Commentaires
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Antoine Neuville
Antoine Neuville
27 décembre 2009 16 h 12 min

Un grand merci à Marcelle et Christian Marillier, qui nous font si généreusement profiter de leur patrimoine exceptionnel, en nous ouvrant très largement leur porte…
C’est une grande chance que cette oeuvre ancienne soit tombée entre leurs mains: ils sont non seulement les garants de sa sauvegarde et de sa protection, mais aussi les ardents défenseurs d’une large diffusion de celle-ci…
Qu’ils soient ici largement remerciés, pour leurs efforts et leur disponibilité!

Antoine Neuville.