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HISTOIRE – PATRIMOINE RELIGIEUX

Dans sa superbe (comme toujours !) revue annuelle Art sacré,  l’association Rencontre avec le patrimoine religieux publie les actes de son colloque, lui aussi, annuel. Dans cette 31e livraison, il est question principalement de reconstructions et de renouvellement des églises et des monastères après les conflits religieux qui ont secoué la France et l’Europe.

couv Art sacré 31Dans ce dossier épais (plus de 260 pages), deux articles ou interventions ont particulièrement capté ma lecture. Le premier offre une grille de lecture claire et efficace sur les jeux dans l’histoire de destruction/démolition et de reconstruction selon un passé idéalisé / reconstruction nouvelle. Le second évoque la grande réforme de Saint-Maur qui remit debout nombre d’abbayes plus que chancelantes dans la France du XVIIe siècle.

Il n’en va pas de même dans toutes les confessions chrétiennes. Mais pour les catholiques et les orthodoxes, comme le rappelle Mathieu Lours (université de Cergy), sans l’article Renaître de ses cendres, « l’édifice de culte est à la fois le lieu d’assemblée en présence de Dieu, la demeure de Dieu et la porte du Ciel ». Cette sacralité tient en partie dans l’acte liturgique de consécration de l’église. Le détruire, sans qu’il y ait une « cérémonie d’exécration » (désacralisation du lieu rendu à un usage profane) revient à commettre un sacrilège et une profanation.

« Dans l’histoire de l’Eglise, fait observer l’auteur, les temps de démolition et de reconstructions sont systématiquement liés aux moments d’épreuve. » Autrement dit la Réforme qui entraîna une guerre de religions, puis la Révolution française. Au cœur des épreuves il y a démolition et il y a destruction. Il convient de les distinguer. Selon l’historien de l’art, « Destruction signifie que l’édifice de culte est abattu par la force, avec brutalité. La démolition renvoie à un choix réfléchi, à une volonté consciente d’effacement. » L’une serait spontanée, l’autre programmée. Dans la première catégorie entreraient les pillages de vandales  (sac de Rome en 455), les razzias des Vikings au IXe siècle, ou encore les mutilations révolutionnaires (« Aucune décision révolutionnaire n’invite à détruire les lieux de cultes »), à la seconde les Réformés qui accomplirent des démolitions réfléchies voire systématiques. Ainsi « Entre 1562 et 1567, estime Mathieu Lours, une quinzaine de cathédrales françaises sont ainsi démolies, souvent à l’exception du clocher, qui pouvait servir à la défense… » Les exceptions sont celles qui, « une fois épurées des objets d’idolâtrie » ont été réutilisées pour le culte protestant (cathédrale de Genève). Cette leçon d’histoire et cette distinction peuvent-elles nous servir aujourd’hui quand nous évoquons régulièrement nos églises menacées et nos églises abattues à coup de pelleteuse ?

Certaines démolitions n’ont d’autre but que de faire table rase d’une identité ou d’un passé, la ruine témoignant d’une croyance que l’on affirme disparue, ou, dans le meilleur des cas, de mémorial du massacre de l’édifice (cette dernière idée est plutôt moderne ; sous l’Ancien Régime la ruine témoigne plutôt d’un abandon ou d’une manque de moyens pour la restauration de l’édifice).

La volonté de reconstruire existe aussi. Dans ce cas, deux options se présentent : le retour à l’état ancien, souvent idéalisé ; le désir d’une architecture nouvelle, en rupture avec l’ordre précédant. Ainsi renaissent une cathédrale romane à Valence en 1604 et une cathédrale gothique à Orléans aux XVIIe et XVIIIe siècles, non pas comme elles furent mais dans un état idéal. « Une démarche qui annonce presque celle de Viollet-le-Duc », note l’historien de l’art. L’autre choix est celui de la rupture qui fait place à la modernité du moment. Ainsi à Uzès où la cathédrale est rebâtie en style classique, à Tour où le romano-byzantin est privilégié par rapport au gothique détruit.

L’extrait :

« Ainsi, reconstruire, c’est donc construire la même chose autrement. La même chose, car on restitue totalement en ses fonctions un édifice disparu. C’est une démarche mémorielle. Autre chose, car s’ajoute à cela une démarche expiatoire. Le nouvel édifice se trouve chargé d’une valeur nouvelle, militante et pédagogique. »

Aujourd’hui, je prolonge-là l’étude de l’historien de l’art, la situation délicate de nombre de nos églises pourrait-elle être posée en termes semblables ? Je parle de celles qui, selon les mots de Jacques Lang (Ouvrons les yeux, 2014) « sont menacées et attendent dans le couloir de la démolition, dans une relative indifférence ». Une « démolition » programmée ou une « destruction » aussi spontanée que barbare ?

Si l’on admet que la négligence peut se révéler in fine violente dans ses conséquences et barbare (serait barbare celui qui ne soucie pas de transmettre l’héritage et l’histoire qu’il a reçus), les deux options existent. La distinction, établie par Mathieu Lours, fonctionnerait plutôt bien dans l’étude des cas contemporains. On a connu à Arc-Sur-Tille (Côte-d’Or), Abbeville (Somme) et à Gesté (Maine-et-Loire), des maires prêts à tout pour démolir leur église, en dépit d’une mobilisation locale et d’alternatives crédibles. En ces trois lieux, la volonté programmée et réfléchie de démolir y était en manifeste. On a connu ailleurs, des maires et des populations davantage « destructeurs »,  laissant tomber en ruine des édifices, par indifférence, paresse et fatalisme.

Quant aux reconstructions promises après démolition, elles font peu l’objet d’une recherche « d’un retour à l’état idéal » ou d’une audace architecturale. Elles montrent, quand elles ont lieu,  davantage une économie de moyens. On reconstruit plus modeste, plus petit, mieux chauffé… Chaque époque a les élans et le souffle qu’elle choisit.

Benoit de Sagazan

A suivre prochainement ma lecture de l’article du Frère Lin Donnat, Les monastères détruits au XVIIe siècle, in Reconstruire, restaurer, renouveler, Art sacré N° 31

couv Art sacré 31

Art sacré n°31 : Reconstruire, restaurer, renouveler. 
La reconstruction des églises après les conflits religieux en France et en Europe 
Actes du colloque de Poitiers ( 2011), 30 €

Ce qu’en dit l’éditeur :

Comment a-t-on fait après la tourmente des conflits religieux qui avaient ébranlé l’Europe occidentale au XVIe siècle et abattu églises et monastères, pour choisir que laisser à l’abandon, que reconstruire – et sous quel aspect – dans les deux aires du catholicisme romain et des églises réformées ? Fidélité au passé, soumission à la mode, pari sur l’originalité ou confiance dans la tradition ? Lors du colloque de Poitiers, près d’une vingtaine de spécialistes se sont penchés sur des cas à la fois particuliers et exemplaires, dans un bel effort de prise en compte d’une situation de besoin qui n’était pas unique mais générale

En savoir plus sur rencontre-patrimoine-religieux.blogspot.fr

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