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HISTOIRE DE L’ART

couv art chrétien art sacré

Directrice d’études à l’Ecole pratique des hautes Etudes et historienne de l’art, Isabelle Saint-Martin explore dans cet ouvrage les différents regards que le monde catholique a porté sur l’art au cours des XIXe et XXe siècles.

Force est de constater que ces regards sont variés, parfois discontinus, voire en rupture.

Dans cette histoire qui n’est pas linéaire, où l’amour déclaré pour les arts le dispute parfois à la méfiance ou la suspicion, l’étude fait apparaître trois questionnements : la relation de l’Eglise à l’art et du commanditaire à l’artiste, la confrontation entre la valeur esthétique de l’œuvre et sa valeur religieuse dans une époque qui « patrimonialise » ses édifices cultuels, enfin une histoire goût dans le monde catholique.

Le premier chapitre, Inventer l’art chrétien, et le dernier, Entre patrimoine et avant-garde, m’ont particulièrement intéressé. Quoi de plus naturel, car le premier nous enseigne comment le regard chrétien s’est refondé aux lendemains de la Révolution française, notamment sous l’influence du Génie du Christianisme de Chateaubriand et des romantiques allemands. L’oeuvre d’art pouvant être reconnue comme le vecteur d’une véritable expérience spirituelle, à la fois pour celui qui la crée comme pour celui qui la contemple.

L’extrait :

SAUVER LA RELIGION PAR LA BEAUTÉ

Que le propos de Chateaubriand ait pu être empreint d’opportunisme autant que de conviction sincère et que l’on puisse trouver des similitudes dans la démarche avec l’ ouvrage de Pierre-Simon Ballanche paru en 1801, Du senti­ment considéré dans ses rapports avec la littérature et les arts, jusqu’à l’emploi de I’expression « génie du christianisme » importe peu. Il a su exprimer avec un indéniable succès un renversement dans l’apologétique. L’exposé des « Beautés
de la religion chrétienne ». sous-titre de l’ ouvrage, annonce clairement son propos: il ne s’agit pas de défendre une confession personnelle, mais d’user du mode argumentatif adapté à son temps. Celui-ci n’est plus un« siècle de foi », un ouvrage de théologie, affirme l’auteur, ne serait lu que par les convaincus, il faut une nouvelle stratégie :

« Les défenseurs des chrétiens tombèrent dans une faute qui les avaient déjà perdus, ils ne s’aperçurent pas qu’il ne s’agissait plus de discuter tel ou tel dogme, puisqu’on rejetait absolument les bases. En parlant de la mission de Jésus-Christ, et remontant de conséquence en conséquence, ils établissaient sans doute fort solidement les vérité de la foi, mais cette manière d’argumenter, bonne au dix-septième siècle, lorsque le fond n’était point contesté, ne valait plus rien de no jours. Il fallait prendre la route contraire: passer de l’effet à la cause, ne pas prou­ver que le christianisme est excellent parce qu’il vient de Dieu; mais qu’il vient de Dieu parce qu’il est excellent. »

L’apologétique par le beau, qui va durablement influen­cer les penseurs du XIXe siècle, semble une approche d’au­tant plus pertinente qu’elle répond précisément, et par des témoignages concrets, à une large partie des accusations dont la religion était l’objet à la veille et au cœur de la Révolution.

« On l’ (le monde) avait séduit en lui disant que le chris­tianisme était un culte né du sein de la barbarie, absurde dans ses dogmes, ridicule dans ses cérémonies, ennemi des arts et des lettres, de la raison et de la beauté; ( … ) on devait donc chercher à prouver au contraire que de
toutes les religions qui ont jamais existé la religion chré­tienne est la plus poétique, la plus humaine, la plus favo­rable à la liberté, aux arts et aux lettres; ( … ). On devait dire qu’elle favorise le génie, épure le goût, développe les passions vertueuses, donne de la vigueur à la pensée, offre des formes nobles à l’écrivain et des moules parfaits à l’artiste; qu’il n’y a pas honte à croire avec Newton et Bossuet, Pascal et Racine, enfin qu’il fallait appeler tous
les enchantements de l’imagination et tous les intérêts du cœur au secours de cette même religion contre laquelle on les avait armés. »

(..) Au Dieu horloger, Chateaubriand préfère un Dieu peintre dont il expose les beautés selon un plan encyclopédique qui rivalise avec les entreprises des Lumières ; ce faisant  il est conscient de renverser l’administration de la preuve et de ne présenter la religion que par se effets terrestres : « Les autres genres d’apologie sont épuisés, et peut-être seraient­-ils inutiles aujourd’hui. [ … ] Mais n’y a-t-il pas de danger à envisager la religion sous un jour purement humain? Et pourquoi? (… ) Le christianisme sera-t-il moins vrai quand il paraîtra plus beau ? »

Cette dernière remarque pourra être rapprochée in fine d’une réflexion qui hante, un siècle plus tard, le père Couturier: « Est-ce que la vérité se suffit à elle-même? ». Question qui croise des interrogations récurrentes dans l’en­quête qui s’ouvre : en quoi le christianisme aurait-il besoin des arts? Pourquoi le fait de reconnaître ou d’admirer l’art dans une œuvre religieuse la rendrait moins «pieuse»? …

Dans le dernier chapitre qui couvre un période qui débute aux lendemains de la seconde guerre mondiale et se conlut aujourd’hui, on assiste à la « Querelle de l’art sacré » et au divorce qui s’établit entre le public et l’art, entre la prédilection patrimoniale et les choix de l’avant-garde. Une période riche en débats et en oppositions diverses, émaillée par l’appel aux grands maîtres (Matisse, Chagall…), la question de l’art abstrait et de l’art figuratif, la déclaration d’amour aux arts et aux artistes par les papes Jean XXIII, Paul VI et Jean-Paul II, la perception du blasphème par des groupes et milieux catholiques, le retour de  notion de « visibilité »…

Entre autonomie des arts, désir de retour aux sources, audaces et provocations « blasphématoires », cet étude sérieuse permet de mieux relire l’évolution du regard sur les arts religieux et sacrés dont nous sommes aujourd’hui les héritiers directs.

Cet essai m’aura laissé, in fine, l’ardent désir de relire le Génie du christianisme

BS

Art chrétien/art sacré, Regards du catholicisme sur l’art en France, XIXe-XXe siècles, par Isabelle Saint-Martin, Presses universitaires de Rennes, 338p. 29€

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