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Des recherches sur internet m’ont conduit à trouver presque par hasard le second numéro de la revue trimestrielle Monuments en péril, dirigée par Pierre de Lagarde.

Article écrit en 2014, actualisé en 2019

Au sommaire, un article d’Yvan Christ intitulé Le grand chambardement des églises de France. Il n’en fallait pas plus pour piquer ma curiosité :

revue Monuments en péril N 2

Lorsque à l’automne 1971, Yvan Christ publie dans le N°2 de la revue Monuments en péril un article intitulé Le grand chambardement des églises, il évoque principalement les remaniements que subissent alors de nombreux édifices cultuels au nom de la réforme liturgique initiée par le Concile Vatican II, et dénonce la dilapidation d’un patrimoine artistique, culturel et religieux de grande valeur.

L’intérêt de relire cet article aujourd’hui est double :

Le premier est de nous rappeler un pan d’histoire méconnu qui a appauvri nos églises, enrichi les antiquaires et les brocanteurs et disséminé de très nombreuses pièces de notre patrimoine religieux dans des collections privées, quand elles n’ont pas été détournées de leur usage votif.

Le second tient dans les annonces alarmantes concernant l’avenir de nos églises, abandon et désaffectation, dont on verra si elles ont été vérifiées ou pas depuis.

Dans cet article, l’auteur parle de révolution. Pas moins. « La révolution cultuelle à laquelle nous assistons devient une sorte de révolution culturelle. Dans l’ordre de la conservation du patrimoine, c’est une révolution tout court puisqu’elle inaugure une ère de vandalisme ecclésiastique plus radicale que toutes celles dont fait mention l’histoire de la chrétienté. » Le propos est sévère et sans doute quelque peu excessif au regard des saignées antérieures auxquelles nous avons fait récemment allusion dans Patrimoine religieux : démolir, reconstruire…

« On ne peut plus se fier à la piété pour entretenir certaines formes de l’art chrétien et en maintenir l’intelligence »

Néanmoins il est difficile de contester le radicalisme, voir le vandalisme, que certains clercs ont cru devoir accompagner la réforme liturgique.

Triple scandale

Si la nouvelle liturgie demande un nouvel aménagement du chœur (ajout d’un autel, d’un ambon…), elle ne réclamait nullement la destruction ou la vente de ce qui préexistait.

Il est vrai qu’en de nombreux lieux des grandes orgues, des chaires, des confessionnaux, des retables ont été inutilement démontés, la statuaire reléguée ou dispersée, sans parler des ornements textiles…

Le scandale a pu apparaître double ou triple :

  • Le premier est cette destruction parfois systématique est venue du clergé lui-même;
  • La seconde est, comme le souligne Yvan Christ, ces actions dévastatrices contredisaient la constitution du 4 décembre 1963, De Sacra Liturgia (chap 7) qui demande aux ordinaires du lieu de « prendre soin du trésor artistique » de l’église, et de « veiller avec zèle à ce qu’il ne soit pas aliéné ou détruit ».
  • Le troisième enfin, est que ce même clergé a agi en contrevenant la loi de Séparation de l’Eglise et de l’Etat en disposant comme bon lui semblait de biens qui dans la majorité des cas ne lui appartenait pas. L’affectataire n’est pas le propriétaire.

Les excès n’ont pas été marginaux. Si les crimes sont restés impunis, ils ont néanmoins faits l’objet de protestations très officielles. Dans sa préface à L’Histoire générale des églises de France (Robert Laffont 1966), André Chastel note : « On ne peut plus se fier à la piété pour entretenir certaines formes de l’art chrétien et en maintenir l’intelligence. Elles appartiennent toujours au trésor de l’Eglise, mais elles ne sont plus nécessaires à son activité et elle les cède d’elle-même à la culture, heureux quand le clergé d’en dispose pas impudemment à sa convenance. Il y a là un conflit dont on voit peu de précédant dans l’histoire. »

le « faux dogme de l’unité de style

Le 20 octobre 1971, c’est le ministre des Affaires culturelles, Georges Duhamel, qui, signant le décret d’application de la loi du 23 décembre 1970, destinée à renforcer la protection des objets mobiliers dans les églises, s’inquiète publiquement « d’un certain clergé qui par une interprétation abusive des directives de la nouvelle liturgie, laisse transformer ou disparaître des ensembles qu’il aurait fallu absolument conserver ».

Une des causes avancées à « ce grand chambardement », selon l’auteur, serait le « faux dogme de l’unité de style ». Ainsi retire-t-on d’églises romanes, les stalles du Grand siècle. Le style baroque fait aussi l’objet de mesures d’expulsion des églises, étant jugé « triomphaliste » et peccamineux.

 18 000 églises abandonnées ?

Mais le mobilier ne semble pas le seul à souffrir au tournant des années 60 et 70. Ainsi lit-on sous la plume d’Yvan Christ ces lignes qu’on pourrait croire datées d’aujourd’hui : « Après les meubles, les murs. Après l’épuration, la désaffectation. Avec la diminution des vocations sacerdotales, nombres d’églises, surtout rurales, sont peu à peu privées de desservants, à demi ou totalement désaffectées, exposées à toutes les convoitises, puis mises en vente. Il n’est pour s’en persuader, que de consulter les petites annonces immobilières… »

On avance alors – nous sommes en 1971 rappelons-le – le chiffre de 18 000 édifices abandonnés par le clergé dans les années à venir. L’auteur ne nous dit rien du fameux « On », qui demeure donc dépourvu d’identité.

Toujours est-il que cette estimation est repris par d‘autres auteur, voir augmentée puisque qu’un an plus tard, Michel de Saint-Pierre dans son Eglise en péril, églises en ruine conjecturera l’abandon de plus 20 000 églises en France avant la fin du XXe siècle.

« Que fera la France du XXIe siècle pour sauver du déshonneur et de la ruine toutes celles qui, au nom de la foi, subiront le même sort ? »

Pour convaincre du péril, Yvan Christ cite « d’impétueux clercs » qui prônent la désacralisation des églises. L’un d‘eux est le jésuite Pierre Antoine qui dans Etudes (Mars 1967) voit dans les églises « plus souvent un obstacle qu’une aide à la pratique de la vie chrétienne ».

D’autres religieux sont cités. L’auteur de l’article que nous analysons ici, craint que ces partisans de la désacralisation des églises ne soient écoutés et que leur influence aillent jusqu’à l’abandon massif de nos églises.

Postulant que la France du XXe siècle n’est pas parvenue à résoudre la question  milliers églises désaffectées par les Révolutionnaires, l’auteur se pose la question de l’avenir et, faisant cela, s’adresse finalement à nous qui relisons son texte quarante ans plus tard : « Que fera la France du XXIe siècle pour sauver du déshonneur et de la ruine toutes celles qui, au nom de la foi, subiront le même sort ? »

L’extrait :

« La France du XXe siècle ne parvient déjà pas, sauf rarissimes exceptions, à résoudre l’immense et complexe problème que pose la désaffectation de milliers d’églises d’où ont été, au nom des lois révolutionnaires, chassés leurs légitimes occupants, et qui ne sont plus que de lamentables fermes des remises de fortune, des garages, des cinémas ou des marchés couverts. Que fera la France du XXIe siècle pour sauver du déshonneur et de la ruine toutes celles qui, au nom de la foi, subiront le même sort ? Retirées au culte, seront-elles, suivant la pratique sacrilège qui s’instaure (parfois avec l’agrément de l’Etat), maquillées en « résidences secondaires » ? Pourront-elles être automatiquement dévolues à la culture ? »

Que répondre à Yvan Christ, 60 ans plus tard ?

Cet article d’Yvan Christ suit de quelques mois un autre paru dans Connaissance des arts (N°233) daté de juillet 1971 que j’avais découvert et relu en 2007.

Dans ce dossier intitulé « Ce qui menace les églises et ce qu’on peut faire pour les sauver », Pierre Kjellberg dresse non seulement un constat des périls qui pèsent sur les églises mais propose des solutions qui pourraient toujours avoir droit de citation aujourd’hui.

Nous sommes dans les premières décennies du XXIe siècle. Que pourrions-nous répondre à Yvan Christ ?

  • D’abord le rassurer en partie, en lui disant que la vague de 18 ou 20 000 désaffectations d’églises n’a pas eu lieu, du moins pas dans cette proportion massive.
  • Que la plupart d’entre elles demeurent protégées, et bien protégées par la loi de 1905, respectée par la grande majorité des maires de France. Et ce malgré la forte diminution du clergé et la forte augmentation du nombre d’églises qui ne sont plus desservies chaque dimanche.
  • Que nous connaissons depuis les années 80, un formidable engouement populaire pour le patrimoine de proximité, dont les églises demeurent le fleuron principal.
  • Mais qu’il existe quelques ombres à ce tableau qui empêchera « la France du XXIe siècle » de désintéresser sur sort de celles-ci.
  • Il existe des églises menacées de ruine, il existe des maires démolisseurs (une quarantaine d’églises ont été démolies depuis le début du siècle), il existe des églises mise en vente et on n’a jamais autant parlé de leur désaffectation et de leur changement d’usage. Que ce phénomène, contrairement à celui connu sous la révolution, n’est plus seulement français mais occidental comme nous le montrent chaque semaine le Royaume-Uni, la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne ou le Canada…

60 ans après, le contexte a changé. Des progrès sont enregistrés, des régressions aussi. Mais fondamentalement les mêmes questions demeurent et nous ne pourrons attendre le XXIIe siècle pour y répondre. Et ces réponses nous devons les donner pragmatiquement, certes, car tous les cas ne se ressemblent pas, mais dans un cadre général raisonné, afin d’éviter les excès que nous regretterions et les erreurs du passé.

Tant régulièrement questionné par des confrères et consœurs au sujet des transformations d’églises en usages profanes, je répète inlassablement ces règles qui me paraissent importantes :

  • Eglise tu es et resteras. Ne pas oublier que la vie normale d’une église est d’abord d’être une église ouverte à tous, et pas seulement réservée à l’usage de chrétiens régulièrement pratiquant. La messe, ou eucharistie, n’étant pas le seul usage d’une église, les communautés chrétiennes doivent se monter créatives pour rendre leurs églises ouvertes, accueillantes et vivantes auprès de tous.
  • Eglise, au partage tu consentiras. Si la communauté affectataire ne dispose pas des moyens nécessaire à rendre son église ouverte et vivante pour tous, peut-elle consentir à un partage des lieux. Des désaffectations partielles existent parfois, notamment dans les églises historiques et touristiques. Mais des solutions à l’anglaise ou à la québécoise pourraient-elles être envisagées en France ? Une maison de Dieu pouvant, selon des règles et des aménagements précis, pouvant devenir partiellement et temporairement une maison des Hommes.
  • Eglise, dignement tu changeras. S’il n’existe plus de communautés chrétiennes localement pour assurer la valorisation de l’église et que celle-ci doit être désaffectée. Comment réfléchit-on à son nouvel usage ? Des vocations culturelles (musée, médiathèque ou librairie), sociales (rencontres associatives), caritatives pourraient être préférées à des usages festifs (pouvant appeler à des débordements) ou commerciaux, car une église, même désaffectée continue à se dire église et à parler « église », comme le montrent de nombreux exemples de transformation compliquée.
  • Eglise, changement plutôt que démolition toujours tu préféreras. L’histoire de notre pays nous montre qu’il est toujours préférable de conserver une église quitte à lui confier un nouvel usage que la démolir. L’abbaye du mont Saint-Michel a été prison avant de redevenir abbaye ; Sylvanès fut une ferme avant de retrouver une vocation spirituelle et liturgique de grande renommée. L’abbaye de Cluny fut détruite et nous la pleurons toujours, courant après le temps perdu pour reconstituer virtuellement ce qui fut un grand phare spirituel de l’Occident.
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Marie-Josèphe Bousségui
Marie-Josèphe Bousségui
23 juillet 2019 8 h 50 min

Au Val-Saint-Éloi, on a rangé dans le grenier (1975) un chemin de croix: c’est vrai qu’il était en papier grossièrement peinturluré:mais il avait été offert J.C(une habitante du village) et il avait érigé en en 1876: « En vertu des pouvoirs qui nous ont été accordés par sa Grandeur de Monseigneur l’Archevêque de Besançon, en date du 5 février 1876. Nous Jean-Baptiste Michelot, prêtre curé du Val-Saint-Éloi, assisté de Monsieur Pétéy curé de Vellefrie, Aubry, curé de Neuré, Gavoillot, curé de Flagy, Georges, curé de Varogne et Gerbaul, vicaire Saulx, avons procédé le vendredi 26 mars suivant, à l’érection canonique du… Lire la suite »