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église Saint-martin de Béthonvilliern 2 (28) (c) BSJe publie ci-dessous un article sur ce thème, rédigé pour la revue Patrimoine Environnement N° 198 en octobre 2019 :

Remettre l’église au centre du village ?

Nos églises sont régulièrement décrites comme fragiles, coûteuses et encombrantes. Aurions-nous trop d’églises ou ne saurions-nous plus les faire vivre ? Est-il encore possible de remettre l’église au centre du village et qu’elle en redevienne un poumon vital ?

Nos églises sont fragiles quand, hors accident climatique, elles sont mal entretenues.

Coûteuses, elles le deviennent quand, faute d’entretien régulier, sont annoncés des chantiers de restauration pharaoniques pour des budgets communaux de plus en plus contraints par la baisse des dotations de l’État.

Encombrantes, elles le deviennent du fait de leur sous-emploi.

Que faire d’un patrimoine aussi conséquent mais déserté, maillant tout le territoire d’églises et de chapelles ?

Comme une évidence communément partagée, se diffuse une équation sournoise : moins de prêtres + chute de la pratique religieuse dominicale = trop d’églises.

Avons-nous trop d’églises ?

Selon la Conférence des évêques de France, nous disposons sur l’ensemble du territoire métropolitain de 42 258 églises et chapelles paroissiales, dont 40 307 sont de propriété communale et 1 951 de propriété diocésaine.

Ni ce recensement, ni aucun autre inventaire, ne nous renseigne précisément sur l’état sanitaire des bâtiments.

Beaucoup de chiffres circulent, parfois extravagants allant jusqu’à 5 000[1], mais si l’on s’en tient aux seuls lieux de culte officiellement en activité véritablement menacés se compteraient plutôt en centaines.

Ce qui s’avère relativement peu au regard du total, même si l’on doit tenir compte qu’il existe en maints endroits des agonies silencieuses que nous ignorons.

Quoi qu’il en soit, un paradoxe français apparait bien entre une pratique dominicale qui décroit et un effort inégalé des communes à restaurer leurs églises.

En effet depuis les années 1980, qui correspondent aux « Années patrimoine » (1980 et 1983), jamais autant d’églises ont été restaurées qu’au cours des décennies précédentes.

Un effort qui a comme corolaire l’attachement croissant des Français à leur patrimoine de proximité, à un niveau jamais aussi élevé que depuis ces fameuses années 80.

Cet attachement n’empêche pas pour autant des situations de crise d’apparaître quand, ici ou là, un projet de démolition est annoncé.

Ces crises mettent souvent en évidence l’impossibilité d’un débat serein.

Les a priori et polémiques montrent combien les parties prenantes ne parlent pas exactement la même langue.

Mais ces crises révèlent aussi que l’église est aussi importante pour celui qui la regarde depuis la place du village que pour celui qui s’agenouille devant l’autel.

Les cinq cas de referendums locaux[2] portant sur la destruction ou non de l’église communale ont tous majoritairement voté sa restauration, malgré les coûts annoncés.

Il en ressort un sentiment de « possession commune » de l’édifice qui échappe ainsi tant au propriétaire légal qu’à l’affectataire.

Ces crises révèlent aussi combien restaurer fédère une population quand démolir la divise profondément.

Les Français restent attachés à leur église, pour des motifs parfois très divers qui mettent en relief sa dimension symbolique ou sacrée : Repère identitaire pour les uns, maison du rassemblement communautaire pour d‘autres ; maison de Dieu et des hommes pour certains chrétiens, temple ou sanctuaire inviolable pour d‘autres.

Savons-nous faire vivre nos églises ?

Avant même de poser la question du trop grand nombre d’églises – Ce patrimoine est dit « redondant » en Angleterre, et « excédentaire » au Québec – est-il possible de questionner l’usage de nos églises ?

Comme le démontre Dominique Iogna-Prat, dans sa magnifique étude[3], les réformes carolingienne à partir de l’an 800, grégorienne puis tridentine, ont progressivement sacralisées nos églises, devenues peu à peu lieu exclusif de la vie sacramentelle et eucharistique du chrétien.

Nous faisant oublier les autres fonctions chrétiennes et sociales que remplissaient les églises auparavant.

La question posée est bien celle-ci : faute de célébration eucharistique, nos églises seraient-elles devenues inutiles ?

N’auraient-elles définitivement plus rien à dire en tant qu’églises ?

D’autres franchissent déjà le pas de la sécularisation de ces édifices : Pour remettre l’église au centre du village, disent-ils, changeons-en l’usage ; L’usage religieux tombant en désuétude, trouvons-leur un usage profane.

Lors d’un colloque tenu à Nancy, les 4 et 5 octobre 2018, sur Le devenir des églises, le CAUE de Meurthe-et-Moselle a appliqué virtuellement cette idée à six églises de la communauté de commune Mad-et-Moselle, qui groupe une cinquantaine communes rurales et compte autant d’églises.

Cette exploration est visible dans un film consultable sur le site ledevenirdeseglises.fr, sous l’onglet « Les Actes ».

Le résultat est interpellant, voire déconcertant. Il n’est pas certain que les populations concernées approuvent aussi facilement des changements d’usages aussi radicaux.

Même si le statut quo actuel apparait tout aussi intenable, les populations peuvent-elles préférer une transition graduelle, qui ne priverait pas définitivement l’église de toute vie cultuelle ? Ne serait-ce que pour y bénéficier d’obsèques religieuses.

Vers des usages partagés ?

Lors du même colloque, Mgr Jean-Louis Papin, évêque de Nancy, ne s’est pas montré insensible à la question :

« Vouloir maintenir sans discernement les très nombreuses églises communales sous le régime de la stricte affectation alors que nous ne pourrons pas en avoir un usage convenable, c’est condamner à la ruine une grande partie du patrimoine religieux car nombre de petites communes ne pourront pas ou ne voudront pas s’engager dans l’entretien d’un édifice aussi peu utilisé par les fidèles ».

Une autre voie « entre le maintien de l’affectation dans son acception la plus étroite et la désaffectation pure et simple » serait donc à explorer.

Pour Mgr Papin,

« ce serait un usage partagé de l’église qui, sans mettre en cause son affectation première au culte, permettrait à l’édifice de rendre des services habituels à la population locale… »

Lors de leur assemblée plénière tenue à Lourdes en avril 2019, les évêques de France ont officiellement rouvert le dossier de l’avenir des églises de propriété communale.

Avancer dans la voie d’un usage partagé suppose de prendre en compte plusieurs éléments dont principalement la pluralité des acteurs concernés, la nécessité et la capacité d’instaurer entre eux un dialogue bienveillant et constructif, l’échelle favorable à la réflexion.

La première prise de conscience est celle de la pluralité des acteurs.

Comme on l’a déjà abordé, propriétaire et affectataire doivent également compter avec les associations de sauvegarde du patrimoine local et avec la population résidente, héritière historique des efforts des anciens dans l’édification du bâtiment cultuel et son entretien.

Les bonnes solutions seront celles partagées et admises par tous les acteurs.

Y parvenir nécessite du temps, un dialogue de qualité, respectant chacun et permettant l’éclosion de compromis acceptables par tous.

L’intelligence viendra des acteurs locaux, pour peu qu’on les y aident. Et on peut parier que là où la réflexion ne sera pas tentée, là où une concertation de qualité ne sera pas menée, nous assisterons à des abandons ou à des occupations profanes « sauvages » d’édifices cultuels, comme cela s’est déjà produit récemment sans plusieurs communes de France.

Et la loi de 1905 se révèlera alors bien impuissante à maintenir un statu quo qui ne permet pas aux bâtiments concernés de vivre.

L’exemple de Mad-et-Moselle

Lexpérience initié par la communauté de communes de Mad-et-Moselle va être très intéressante à suivre. D’autant plus que cette collectivité regroupe des communes situées en Meurthe-et-Moselle et donc régies par la loi de 1905, et d‘autres situées en Moselle et donc placée sous le régime du Concordat.

Outre la pluralité des acteurs et de leur capacité à dialoguer, cette expérience lorraine pose la question de la bonne échelle de la réflexion.

En effet, élaborée à l’échelle d’un bassin de vie, elle permettra apriori la diversité des réponses, chaque église trouvant une solution pour elle-même mais aussi pour la dynamique de tout un territoire.

D’autre part cette échelle devrait être également en capacité d’apporter des solutions mutualisées d’entretien de ce patrimoine, riche de plus d’une cinquantaine d’églises.

Il n’existera pas de réponses toutes faites à l’avenir des églises et des chapelles.

Les forces vives locales, chrétiennes ou non, auront sans doute le dernier mot.

Il existe toutefois un pari qui mérite d’être tenté : nous n’aurions pas trop d’églises si nous savons leur donner une nouvelle vie, d’abord chrétienne, par défaut profane, au mieux chrétienne et profane à la fois.

Ces églises, à nouveau au centre de leur village, n’apparaitraient alors ni fragiles, ni coûteuses, ni encombrantes.

Benoît de Sagazan

Cet article fait partie du  dossier La ruralité face à ses défis dans la revue Patrimoine Environnement N°198 – 2019.

[1] « Plus de 5000 églises sont menacées de délabrement » titrait la une du Figaro le 25 avril 2019.

[2] Dont les églises Saint-Chrysole à Comines (Nord) en 1996, Notre-Dame à Saint-Chamond (Puy-de-Dôme) en 2009, de Plounérin (Côtes-d’Armor) en 2010, de Plouagat (Côtes d’Armor) en 2013.

[3] La Maison Dieu. Une histoire monumentale de l’Église au Moyen Âge (v. 800-v. 1200), par Dominique Iogna-Prat, Éditions du Seuil, 2006

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2 Commentaires
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christian
christian
18 septembre 2021 11 h 26 min

Dans notre monde qui a perdu tout repère et ne sacrifie plus qu’à l’objet présent du « marché » publicitaire ,la spiritualité est maintenant le seul moyen, la seule arme pour ne pas sombrer, pour exister encore,intellectuellement et spirituellement Les églises ( le lieu ) doivent procurer ce lieu de défense, mais en s’ouvrant à la vie , à la diversité des êtres, leurs préoccupations. A la sacralité du lieu ,faut-il que tout l’espace écclésial soit sacré?Nous ne sommes plus au temps de charlemagne. Ne peut-on pas ouvrir une partie de l’église à des activités associatives ,par exemple, moyennant quelques aménagements. L’église… Lire la suite »

vachon
vachon
26 novembre 2020 15 h 48 min

Merci pour ce blog!
J’habite en Essonne et la chapelle St Denis est en train de disparaitre. Elle se situe à Viry Chatillon