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A l’occasion de la réalisation d’un portfolio pour Le Monde de la Bible, j’ai rencontré Paul Salmona, directeur Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, à Paris.

Découverte d’un musée original qui présente la variété des judaïsmes en France, à travers leurs œuvres et leurs objets. Son directeur,Paul Salmona, présente l’histoire de ce musée pas comme les autres, ses collections exceptionnelles et ses défis.

Paul Salmona, directeur du musée d'art et d'histoire du Judaïsme. (c) Arnaud Eluère pour le Monde de la Bible
Paul Salmona, directeur du musée d’art et d’histoire du Judaïsme. (c) Arnaud Eluère pour le Monde de la Bible

Le Monde de la Bible : Pourquoi un musée d’art et d’histoire du judaïsme à Paris ?

Paul Salmona : le mahJ est né de la volonté de créer à Paris un grand musée consacré à l’art et à l’histoire du judaïsme, à l’instar des musées de New York ou d’Amsterdam. Ce projets’est développé dans le prolongement de l’exposition de la collection du compositeur et chef d’orchestre Isaac Strauss (1806-1888) au Grand Palais, en 1981, organisée sous l’égide d’Alain Erlande-Brandenburg, directeur du musée de Cluny, et de Victor Klagsbald, grand collectionneur de judaica. Car les cultures et l’histoire du judaïsme n’étaient représentées ni dans musées nationaux ni dans les musées de la ville de Paris, alors qu’elles sont une composante, minoritaire mais originale, de l’histoire de France depuis l’Antiquité.

Le projet a reçu le soutien conjoint – c’est une de ses singularités – du ministère de la Culture et de la Ville de Paris, et c’est en 1986, à l’initiative de Jacques Chirac,maire de Paris,que l’hôtel de Saint-Aignan est affecté au projet. Le bâtiment a retrouvé les façades dessinées en 1644-1650 par Pierre le Muet, qui sont un modèle d’architecture classique du premier XVIIe siècle. Sa restauration est exemplaire, même si on peut regretter que n’aient pas été conservées quelques traces de sa transformation,à partir de 1842, en immeuble dédié au commerce et à la petite industrie,où,dans des ateliers-appartements, vivaient des artisans juifs immigrés de Pologne, de Roumanie ou d’Ukraine, comme dans la plupart des immeubles du Marais. En 1988, Laurence Sigal prit la direction du projet et ouvrit le musée en 1998, dans une muséographie de Catherine Bizouard et François Pin.

MdB : D’où proviennent les collections du musée ?

P.S. : Le noyau initial réunissait trois ensembles : en premier lieu, la collection Strauss, constituée au XIXe siècle, essentiellement composée d’objets liturgiques italiens et de l’aire ashkénaze, acquise à la mort du compositeur par la baronne Nathaniel de Rothschild pour être offerte au musée de Cluny ; en second lieu un ensemble sans équivalent de stèles médiévales provenant d’un cimetière mis au jour en 1949 à Paris, rue Pierre-Sarrazin ; et enfin la collection du musée d’Art juif de Paris, créé en 1948 par des survivants, qui reçurent des objets spoliés par les nazis et constituèrent une collection d’œuvres d’artistes de l’Ecole de Paris.

À partir de 1988, l’équipe du musée s’est efforcée de compléter ces collections par des achats et des dons, dans les domaines mal représentés dans la collection initiale. La France a le privilège d’avoir accueilli des juifs de nombreux horizons– Europe centrale et orientale, Afrique du Nord, Levant, Inde… –, qui ont rejoint les communautés déjà présentes en France à la Révolution – Comtat Venaissin, Lorraine, Alsace, côte Aquitaine.

Une des spécificités du mahJ est de pouvoir présenter cette diversité à travers des œuvres et objets authentiques,et non pas des reconstitutions, que l’on retrouve dans d’autres musées du judaïsme.Le parcours permanent, qui comporte une vingtaine de salles sur près de 1000 m²,  est très éclectique, et présente des œuvres d’art, des objets liturgiques, des pièces archéologiques, des photographies, des archives. Le mahJ conserve d’ailleurs l’un des fonds les plus importants sur l’Affaire Dreyfus, donné par la famille du capitaine. Enfin, l’art contemporain et la photographie prennent une place croissante dans nos acquisitions. Le mahJ est un musée de civilisation.

Paul Salmona, directeur du musée d'art et d'histoire du Judaïsme. (c) Arnaud Eluère pour le Monde de la Bible
Paul Salmona, directeur du musée d’art et d’histoire du Judaïsme. (c) Arnaud Eluère pour le Monde de la Bible

MdB : Outre la conservation de cette histoire juive, quelles sont les missions du mahJ ?

P.S. : Le mahJ a une mission particulière de présentation du judaïsme tel qu’il s’est développé en France après l’Emancipation, avec la réunion du Grand Sanhédrin par Napoléon, la création du séminaire israélite, le mouvement de construction des synagogues et la faculté donnée aux juifs d’accéder à toutes les fonctions sociales, professionnelles ou politiques dans la société française, ce qui est unique en Europe dans la première moitié du XIXe siècle.

Au-delà, il s’agit de rendre compte de la vivacité des cultures du judaïsme, sous toutes leurs formes Nous tentons de mettre en valeur la richesse de notre fonds en le faisant résonner dans le monde contemporain, à travers des expositions, des programmes de conférences, des colloques, des rencontres, des projections, mais aussi des sessions de formation pour les enseignants et une importante activité éducative, ainsi qu’une offre de librairie sans équivalent sur la littérature, l’histoire, les arts, la pensée juive, etc. Nous mettons aussi l’accent sur les convergences avec le christianisme ou l’islam. Le musée a une véritable mission de recherche et de diffusion du savoir : il dispose pour cela d’outils performants : un bel auditorium de 200  places, une médiathèque de 30 000 volumes sur l’art et l’archéologie du judaïsme, une librairie présentant un fonds de 5 000 titres, des ateliers pédagogiques qui jouent un rôle essentiel dans un contexte de résurgence de l’antisémitisme…

Les expositions contribuent énormément à la vie du musée, car elles permettent d’aborder des champs variés, au-delà des collections proprement dites : nous travaillons actuellement sur Schönberg peintre et compositeur, sur le Golem et ses avatars contemporains, sur la vie et l’œuvre René Goscinny, créateur du Petit Nicolas et d’Astérix, parmi bien d’autres projets.

Paul Salmona, directeur du musée d'art et d'histoire du Judaïsme. (c) Arnaud Eluère pour le Monde de la Bible
Paul Salmona, directeur du musée d’art et d’histoire du Judaïsme. (c) Arnaud Eluère pour le Monde de la Bible

MdB : quels sont les principaux défis et projets du mahJ dans les années à venir ?

P.S. : Dans un pays laïc et républicain, il est difficile de faire percevoir que le mahJ n’est pas une institution confessionnelle, mais un musée du judaïsme pour tous les publics. Pour cela, nous avons le projet d’une refonte du parcours permanent, en contextualisant les objets liturgiques dans le rituel, comme le font les musées d’anthropologie avec des moyens audiovisuels, mais aussi montrer l’histoire sociale et la vie quotidienne des communautés  juives. Nous voudrions également réintroduire la présence juive dans l’antiquité, qui est, comme le judaïsme médiéval, une des « taches aveugles » de notre récit national français. Et développer la présence de l’art vivant, notamment en présentant régulièrement le travail de jeunes artistes. Pour que cette activité soit accessible partout, nous transformons le site internet pour qu’il devienne un véritable musée en ligne.

Après 1791, la France a inventé un modèle réussi d’intégration d’une communauté à la nation. Cette histoire peut être utile à tous.

Propos recueillis par Benoit de Sagazan

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Cette interview est extraite de la revue Le Monde de la Bible N° 216 : Une vie après la mort d’Osiris à Jésus. Elle introduit un portfolio exceptionnel dans lequel le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme présente dix trésors de ses collections.

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